La société marocaine souffre de maux qui lui font manquer plus d’un rendez-vous avec le progrès humain. Innombrables sont les causes de cette gangrène, mais si l’on doit en étudier une, ce sera certainement l’éthique.
L’éthique, cette science morale, est au centre de toutes les conventions humaines et l’essence comportementale de celui qui aspire à un avenir meilleur. Pourtant, elle semble absente dans le rapport du Marocain avec son entourage et son environnement. Des fauteurs détruisent, saccagent les biens communs avec une tranquillité civile cinglante. Une aliénation qui pousserait à toutes les formes de violence et qui leur ferait, quelque part, renoncer à ce qui fait la qualité d’Homme. Un schéma qui s’inspire de la célèbre formule de Jean Jacques Rousseau, “renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme”, du Contrat social (1762).
Dans ces circonstances, il n’y a plus de loi que celle du plus fort. Cette somme de constatations nous pousse à nous interroger sur comment un citoyen vient-il à nuire, et ce sans réserve, à son propre environnement ? Par nuire, j’entends toute forme de volonté vengeresse contre la société.
L’éthique se fonde sur la connaissance, ainsi que sur une prise de conscience du présent, la prise de conscience du soi intérieur (que Carl Jung appelle individuation) et une prise de conscience de la nature des choses et de l’environnement. Etre conscient, c’est surtout comprendre que chaque action engendre inévitablement une réaction - un déterminisme source d’équilibre social et universel. Dans ce dessein, le citoyen qui, jusque-là n’avait regardé que lui-même, évolue et devient le centre des rapports humains et de la mécanique sociale. Un citoyen empathique et autonome, au courant de l‘architecture sociale et environnementale. Pour accéder à ce degré de conscience, à l’égard de soi-même et de la société, il existe bien des manières intellectuelles et philosophiques pour y parvenir.
Ceci étant, à moindre échelle, nous pouvons arriver à un niveau acceptable de conscience dans la société, d’éthique en l’occurrence, quand l’individu se sent suffisamment accepté par la société civile, par son Etat et par son entourage. Un niveau d’acceptation et d’entendement (faculté psychique intellectuelle qui permet de saisir les problèmes et les situations) à même de lui offrir un poids, une présence effective dans la communauté : un sentiment d’appartenance.
Dans le schéma présent, cette reconnaissance se traduira par un sentiment d’éveil social. L’individu sort de la marginalisation, de l’inconnu, pour rayonner, et s’enraciner dans la société et de ce fait, prendre conscience qu’il peut changer les choses autour de lui. Ces actes seront soumis à un processus cognitif complexe car l’autocritique, la prise de décision, l’empathie et l’estimation de l’acte prendront effet dès lors qu’il se sentira faire partie d’un seul et même corps social et environnemental.
Ce principe inversé, la marginalisation et la contradiction sociale engendreront un renoncement de la qualité d’Homme, de ses libertés et de ses droits (nous parlons ici de la liberté morale, qui est plus importante que la liberté physique). Un personnage qui se croira effacé car on lui a ôté presque tout ce qui fait de lui un homme social.
Exclu, inférieur, réduit à une vie de seconde zone dans cette société, il lui sera difficile, impossible même, de prendre conscience de ses actes. Ainsi, de quelques sens qu’on envisage les choses, une prise de conscience chez ce citoyen ne sera nullement effective combien même il détruira et combien même il nuira car… il n’existe pas. Transformer l’homme en un citoyen relatif à la communauté sera un échec car, pour emprunter un concept à Abraham Maslow, cet individu évolue encore dans ce qu’il appelle les besoins physiologiques - premier niveau de la pyramide - voire même en-deçà de ce niveau.
Comment voulez-vous donc qu’un être, imperceptible, inexistant et invisible, sache que ses actions auront certainement une, ou des conséquences sur l’ensemble de la communauté ?
Pourtant, cet être invisible ne cesse de communiquer avec la sphère réelle. Sans voix, sans médium et réduit à un mutisme absolu, la destruction du bien public est quelque part, une tentative de communication, un appel de détresse. “Je ne suis pas complément enterré, j’existe, regardez-moi, je vis.” Par cette formule, par ces actes, des tentatives vaines de communication primitives qui ne raisonneront que dans un vide sidéral, donc, dans l’oreille de quelques psychothérapeutes et sociologues avertis.
Ces malheureux font penser aux Intouchables (Dalits) en Inde, ce groupe d’individus effroyablement opprimé et exclu de l’ascenseur social indien. Quelques uns réussissent à s’affranchir, d’autres attendent la réincarnation avec une meilleure destinée. Un groupe qui ne va se soucier ni de l’action, ni de la réaction, car se sentant exclu et hors du corps et de la sphère sociale.
L’on pourra dire, d’une manière simple, que l’une des causes du chaos et de l’anarchie de la société indienne découle de l’inconscience civique de plusieurs de ses citoyens qui vivent dans une dimension faite de conception religieuse et surnaturelle. L’inconscience, dans le cas échéant, est à la fois poussée par l’élite et le gouvernement, qui restent attachés au système de caste et de la hiérarchisation raciale. Ce constat pousse à l’effacement de l’individu et de son rôle dans cette dite société favorisant ainsi l’inconscience et le manque de civisme.
Ici, la métaphysique, la religion et la croyance constituent un rempart. Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comprendre : de même que ces Dalits, qui n’espèrent plus rien de ce monde matériel, se détachent complètement de la vie terrestre pour attendre patiemment une supposée réincarnation, de même ces intouchables marocains (Bouzebals que l’on traduira littéralement par “ceux qui viennent des poubelles”) se rongeront dans le fanatisme et l’extrémisme.
Ce deuxième point marque la rupture radicale entre certains individus et la société. Ces minorités ne se contenteraient plus de détruire les biens publics ou violenter, pour manifester un mécontentement, pour signifier une quelconque présence ou pour lancer des messages de ras-le-bol, plus maintenant, ils pourraient inscrire toute leur volonté dans l’au-delà car, pour eux, il n y a plus de place dans l’échiquier.
“Tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens”
Vivant dans une autre dimension d’idées, le fanatique ne sera plus récupérable et transcendera son désarroi au service d’une cause invisible et éphémère, une cause de même nature et de même essence que lui. Il n’a plus aucun droit à la communauté donc “tuons cette communauté pécheresse” et créons un nouvel ordre. (Nous allons aborder ce point plus en détail dans un prochain article, pour comprendre les raisons politiques, sociales ainsi que les mécanismes psychiques qui conduisent le citoyen à se transformer en tueur de masse).
Doit-on réellement espérer un soulèvement, un génocide, une guerre, un désastre pour rassembler les miettes du corps social autour d’une seule et même volonté ? Des catastrophes, comme celles qui ont frappées le Japon, l’Allemagne ou le Vietnam, qui ont poussé l’opinion publique et le gouvernement à faire des mea culpa, une critique pure de la chose sociale et une réorganisation des schémas mentaux ?
L’éthique aime la critique, certes, mais ce raisonnement ne doit pas venir a posteriori. Il convient de prendre conscience de ses erreurs aujourd’hui et de comprendre qu’une infime cause peut engendrer des conséquences dramatiques ou à l’opposé, phénoménales.
Par Samir Taouaou : paru sur Onorient : http://onorient.com/lethique-6322-20140821
As we stepped into the abandoned cathedral, we were immediately overwhelmed by the profound emptiness of the once sacred space. And the pigeons. Jesus, the pigeons.
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