Que reste-t-il de Bruxelles 2000, lorsque la capitale belge était aussi capitale européenne de la culture ? Au moins une chose : La Zinneke Parade. En bruxellois, le zinneke c’est celui qui a des origines multiples, le métissé. Un peu comme cette ville, cosmopolite et multiculturelle. L’idée de la parade est partie de là : réunir toute cette diversité . L’événement est devenu une institution. Tous les deux ans, les habitants des différents quartiers, les associations, les écoles se réunissent autour d’un projet commun. Chaque groupe, appelé zinnode confectionne ses costumes et décors. Cette année on compte 22 troupes avec plus de 180 artistes et 1900 participants, prêts à réinvestir la ville. Le thème commun : tentation. Nous nous sommes donc laissés tenter par une visite des coulisses. Le « château Z », une ancienne imprimerie à la limite entre Bruxelles et Schaerbeek, a été investie par les organisateurs de la Zinneke. À l’intérieur, tous s’activent pour donner une cohérence, une qualité mais aussi une portée sociale à cette parade qui se veut « contemporaine, créative et artistique ».

La Grande Salle

Enfonçons-nous dans les tréfonds du bâtiment pour visiter le stock Mat.O.S., véritable caverne d’Ali Baba pour les participants. Ici, dans ces 400 m², l’association stocke des déchets industriels ou dons d’entreprises. Usine de bottes en caoutchouc, grossiste de tissus, entreprises d’emballages surgelés, la Zinneke a un partenariat avec des dizaines d’entreprises jusqu’à 200 km à la ronde. De la frontière allemande et hollandaise à l’est pour du caoutchouc jusqu’à Ypres, à la frontière avec le nord de la France, pour des sacs en papier. Mais Christophe Wullus, le responsable logistique de la Zinneke, ne révèle jamais ses sources. C’est un de ses arguments auprès des entreprises : au lieu d’avoir des dizaines de demandes de différents artistes, lui sert de « grossiste » et se charge de la distribution. Si bien que la Zinneke fait maintenant partie, pour ces sociétés, du circuit de recyclage. « Notre plus grosse concurrence, s’amuse Christophe, se sont les écoles. » Parfois les entreprises parviennent finalement à monétiser leurs déchets, à les transformer en valeur marchande. La parade a ainsi perdu un de ses fournisseurs : une entreprise de bâches de camion qui lui donnait ses bords perdus. Malgré tout, dans le stock Mat.O.S., le choix est grand : élastiques, feutre, découpes de cuir, bâches pour piscine, scratch, ficelle, chutes d’imprimerie, filet, plaques de mousse, vieux vêtements, la liste est longue. Et tout a une utilité : dans des mains expertes, des tapis d’exposition font de très beaux plastrons blancs. L’équipe ne se repose pas sur ses lauriers ; chaque année, elle organise un brainstorming pour savoir ce qui fonctionne ou non, les matières qu’il faudrait renforcer et recherche de nouvelles entreprises.

Le Donjon

Dans le stock Mat.O.S., les matériaux ne sont pas en libre-service. Christophe s’assure que les artistes ne prennent que ce dont ils ont besoin pour aider au mieux tout le monde. Il veille également à ce que les mêmes matériaux ne soient pas trop souvent utilisés : la diversité, toujours. L’association Zinneke chapote la parade et apporte un soutien aux différentes zinnodes qui souhaitent participer. Les coordinateurs artistiques veillent à la cohérence et assistent la construction de la dramaturgie. L’équipe aide aussi à l’élaboration des dossiers de subvention, à la logistique et à la communication. Ce sont en tout 11 personnes qui travaillent à l’année dans les bureaux du château. À l’approche de la parade, un autre plein-temps et deux régisseurs sont venus grossir les rangs, sans compter les bénévoles et les petites missions.

La Tour

Le labyrinthe du « château Z » ne s’arrête pas là. Dans les étages les ateliers d’artistes se succèdent. Les zinnodes peuvent disposer des lieux pour mettre leurs projets en forme. Difficile de donner des chiffres sur le nombre d’occupants ; ceux-ci se suivent, restent plus ou moins longtemps, reviennent ou ne passent qu’une fois, dans un joyeux bric-à-brac. Après les répétitions, appelées soumonces, dont la dernière a lieu à une semaine de l’événement, c’est l’heure des dernières retouches. Tout en haut de la tour, une pièce reste fermée. Leïla, couturière de l’association, s’active dans le plus grand secret : elle fabrique les costumes des bénévoles qui sécurisent la parade. Costumes dévoilés uniquement le jour Z, quand la Zinneke débute.

La Forge

Mais la parade ne serait pas la parade sans ses chars. Il y a quelques années, les organisateurs ont réalisé que ceux-ci n’étaient pas si nombreux. Pour Christophe Wullus une explication : « Les artistes travaillent le bois parce que la matière et les outils ne sont pas chers, mais ce n’est pas la même chose pour le travail du métal, les artistes n’ont plus forcément ce savoir ». Alors en 2009, la Zinneke a mis en place un atelier métal. Tous les mois pendant 5 jours, des professionnels donnent des cours aux artistes volontaires. La formation est gratuite mais en échange les élèves doivent travailler sur la construction d’un char pour la parade. Du coup, les chars se multiplient et envahissent les lieux. Toutes les zinnodes n’ont pas la place pour stocker de si grosses structures.

Le samedi 10 mai à 15h, quand toute cette joyeuse organisation se lancera à l’assaut de Bruxelles, il y aura un peu plus d’espace dans la cour du château.