Synesthésie...Une autre réalité 

July 30th, 2013, 10pm

C’est une histoire qui date de quelques années. J’assistais à l’époque à une reproduction musicale d’un groupe d’amis qui jouait dans un petit bistro vers République, je leur avais promis de faire quelques photos pour leur nouvel opus. Jusqu’ici rien d’extraordinaire. Ambiance sympathique et joviale, on était tous attablé pour diner. Là je remarque une personne rire aux larmes, danser en transe, sa joie de vivre m’avait transcendé. Dans une ville où la morosité règne en maître absolu, j’avais trouvé ce spectacle fascinant. Par le hasard des choses, cette personne était également une connaissance de mes amis. Je ne me rappelle plus exactement de notre première conversation… mais ce fût intéressant. Quelques heures plus tard, il était déjà une heure passée, les métros étaient fermés et tout le monde s’organisait pour rentrer. J’ai décidé de faire un petit bout de chemin avec cette personne qui s’avère être également une voisine. Quelques kilomètres plus tard, je remarque qu’elle utilise beaucoup de métaphores dans son discours. Je lui fais remarquer cela… Sa réaction était pour le moins très surprenante : « c’est peut-être du à ma synesthésie !». « Synesthésie…c’est quoi ? » je pose la question tout en essayant, avec le peu de latin que j’ai étudié, de comprendre ce terme. « S’agit-il d’une association de sens car nous retrouvons Syn (union) et aesthesis, sensation? ». Elle a souri encore une fois et me pose la question : « connais-tu les effets du LSD ou plutôt les changements-associations apportés au sens après la prise d’une dose? Si tu les connais, c’est tout simplement ça la synesthésie. La seule différence, c’est que je n’ai pas besoin d’être sous LSD pour percevoir ce que je perçois ! ».

Connaissant ses effets —car je les avaient étudiés, je n’en revenais toujours pas qu’il puisse exister des personnes capables de voir littéralement la musique, d’écouter les couleurs ou de regarder le monde différemment sans psychotropes, sans méditations ou encore sans hallucinogènes (je n’utilise pas le terme drogue car le LSD n’en est pas un—il ne créé pas d’addiction tout comme le Ayahuasca et d’autres substances). Ses métaphores viennent de là donc, de sa capacité à croiser un, deux voir trois sens !

J’avais cru à un petit simulacre au tout début. Tout est possible en effet mais peut-être était-elle entrain de me mener en bateau ? Il est tout à fait possible également qu’elle soit atteinte d’un trouble neurologique qui se manifeste par des hallucinations ? Ni l’un ni l’autre vraisemblablement…

De retour chez moi, j’entreprends un grand travail de recherche et de documentation autour de la synesthésie et des perceptions. J’ai toujours pensé que nous ne regardions pas la même chose, encore moins les mêmes couleurs mais j’ai constamment cru à une seule forme de réalité matérielle et conventionnelle. Le résultat de ces mois de recherches m’a ouvert les yeux sur quelques choses d’extraordinaire mais avant cela, faisant le point sur ce phénomène—très présent dans nos sociétés.

Jusqu’à présent, les chercheurs sont encore partagés et mitigés sur la nature de la synesthésie. S’agit-il d’une maladie neurologique ou d’une condition normale ? Vis-à-vis les conventions normatives, toute chose différente des standards est répertoriée comme trouble. Quelle que ce soit la forme de synesthésie— et il en existe une centaine—, c’est un phénomène totalement irréfléchi, incontrôlé et constant. Beaucoup de théoriciens pensent que ce « trouble » est du à un « mauvais câblage » entre différentes zones du cerveau, entraînant l’apparition de vision et de perception, mais sur le plan de la recherche, aucune preuve n’a été apportée, ce qui laisse croire que le cerveau d’un synesthète est à tout point semblable au cerveau d’une personne normative.

Il est difficile de quantifier le nombre de personnes véritablement synesthètes car, étant une expérience personnelle, les personnes vivent depuis toujours avec leurs perceptions pensant qu’elles sont partagées et vécues par tout le monde. De plus, beaucoup de ces personnes préfèrent ne pas en parler autour d’eux, par peur de jugement.

Au-delà de ce que la science conventionnelle tend à affirmer—et là j’invite à faire quelques recherches sur le thème—, il existe une grille de lecture tout à fait surprenante à la compréhension de la synesthésie.

Depuis ce jour là et souvent quand je rencontre quelqu’un d’”intéressant” ou d’atypique, je pose quelques questions personnelles : comment écoutes-tu la musique? Est-ce qu’il t’arrive de voir les sensations, les changements d’humeur des individus sous forme d’aura ? Comment ton esprit perçoit et fait la projection des équations mathématiques ? Est-ce qu’il t’arrive « d’écouter » les couleurs, de voir des schémas « mentaux » se dessiner dans l’abstraction de ton esprit ou de voir les nombres et les dates en couleurs ? Des questions simples, voire simplistes, quelques fois surprenantes car nous avons toujours tendance à poser des questions sur le parcours professionnel ou académique…

Le résultat était surprenant: les hommes et les femmes ne regardent pas, tous, de la même manière le monde qui les entoure. Bien entendu, il ne faudrait pas être diplômé en psychologie pour savoir qu’il y a des filtres psychologiques—dus à notre expérience et à notre vécu, qui font que nous avons tous des grilles de lectures différentes. Le cerveau fait également un travail sélectif de l’information et trie cet amas en fonction d’importance subjective—, mais là nous parlons de quelques choses de différent : de regarder littéralement et métaphoriquement des objets mentaux, des formes complexes ou de l’abstraction.

Petite histoire: Il m’est arrivé de rencontrer des chamanes, des artistes, des musiciens, des maîtres bouddhistes et même quelques scientifiques, tous rapportant des expériences sensitives phénoménales et qui excellent dans leur domaine de prédilection. Certaines personnes que j’ai rencontrées communiquent même avec des objets et ce d’une manière sensationnelle ! Comme l’exemple de ce synesthète, qui, un jour pour se rendre à son travail, passe par une petite ruelle et remarque une lampe encore en état abandonnée par terre. La lampe lui communique ce nom : Cyril, Cyril, Cyril (le nom de son colloque)! Ce synesthète, qui s’avère aussi être étudiant en neurologie, emprunte cette rue trois fois durant cette journée, et à chaque fois, il écoute littéralement ce nom. Il m’avait confié : “Je ne te cache pas qu’au premier abord, j’ai pensé simplement que mes synesthésies se manifestaient encore une fois, sans raison. Je n’ai pas ramassé cette lampe, pour une fois que je ne voulais pas céder, juste pour voir le résultat». Trois jours plus tard, un bon matin, notre ami se réveille et regarde avec stupéfaction son colloque, Cyril, entrer à l’appartement et entre les mains ladite lampe ! “pourquoi amènes-tu cette lampe”, s’interrogea notre ami d’un air satirique ? Cyril, qui s’avère être autiste de haut niveau, lui répond : “elle m’a plu, j’aimerai la repeindre et l’installer dans ma chambre!”.

Cet exemple me fait penser à toutes les fois où, quand je passe devant un magasin et que je regarde un article, je pense à quelqu’un tout en imaginant qu’il lui irait à merveille ! Sauf qu’en synesthésie, les sensations sont perçues d’une toute autre manière. Dans ce cas précis, la communication a-t-elle remplacée l’imagination ?

Ceci étant dit : dans ce cas là, est-ce que c’est bien le cerveau qui fait les connexions nécessaires pour savoir si l’objet correspondrait à une personne en particulier ou bien, plus intéressant encore, serait-ce l’objet, qui dans ce cas deviendrait intelligible, communiquerait d’une manière ou d’une autre avec la personne ?
Si la première question semble rationnelle, la deuxième ne l’est absolument pas, mais dans un tout autre ordre d’idée, nous pouvons chercher dans ce sens car il n’est pas à exclure que les objets communiquent, ce que certains scientifiques appellent Qualia, où la capacité de l’objet à transmettre un certain nombre d’information. Il y a également ce principe dans la Physique de la communication qui appuie ce postulat. Suivant ce schéma, l’objet pourrait bien transmettre de l’information et non le cerveau qui déduirait son utilité. (Je vous invite à lire l’étude intéressante sur l’effet Booba/kiki : www.synesthesiatest.org/blog/bouba-kiki-effect).

Il est clair que le but de l’histoire est de faire réfléchir sur la nature de la réalité. Comme le disait Max Planck, « de même qu’il y a un objet matériel derrière chaque sensation, de même y a-t-il une réalité métaphysique derrière tout ce que l’expérience humaine nous propose comme réel ». Beaucoup de théoriciens avancent que l’expérience de la réalité est sélective et dépend avant tout de l’expérience et de l’observation de tout un chacun.

Passant à quelque chose d’encore plus intéressant. La synesthésie n’est qu’un terme nouveau employé pour décrire une condition sensitive humaine vieille comme le monde. S’il s’avère que ce phénomène est propre à une fraction de la population— en excluant peut-être le fait que tout le monde observe le monde et la société selon des prismes différents—cela stipulerait que les synesthètes, sans le savoir, ont influencé la littérature, la philosophie, la spiritualité et l’art. Peut-être que certains (prophètes, chamanes, artistes, savants, fous, sages, malades mentales, poètes, fqih, sâdhus), étaient ou son synesthètes. Ceci expliquerait beaucoup de choses et donnerait plus de crédit à certaines productions et/ou affirmations. Les perceptions étant métaphoriques, l’ont décèlerait les allégories plus efficacement.

Je pense à Wassily Kandinsky et à Franz Liszt par exemple qui ont révolutionné leur art, ou encore à des personnes dont l’empreinte synesthésique et l’expérience des couleurs est perceptible dans leurs œuvres comme Arthur Rimbaud ou Charles Baudelaire.

J’ai rencontré un synesthète qui travaille depuis des années sur une étude “révolutionnaire”—non encore publié à ce jour (et je ne sais pas si elle sera publiée ultérieurement), qui stipule qu’à l’origine de l’humanité, il y aurait deux espèces : une espèce sensitive dite « homo sapiens sensitif et une autre homo sapiens normatif ». La première espèce serait à l’origine de la création, de l’écriture de l’art et de l’inspiration (avec tout ce que l’art englobe), et la seconde est capable de raisonnement—un peu comme ce que nous avançons actuellement sur l’hémisphère gauche et droit du cerveau (même si beaucoup de scientifiques ne sont pas du même avis sur le rôle des hémisphères ).
Dans cette étude, l’origine de la métaphore serait aussi synesthésique. Ce point là, je l’ai expérimenté un jour avec une synesthète qui m’avouait voir la vie en rose, littéralement, quand elle est amoureuse.

Suivant ce schéma, et d’après beaucoup de recherches, la synesthésie ne peut être perçue comme maladie ou trouble, voire dysfonctionnement neurologique : « nous n’avons pas quelques choses en moins » comme aime dire une synesthète, mais « plutôt quelque chose en plus ». Nous sommes encore très loin d’avoir élucidé tous les mystères du cerveau et de l’appareil psychique. Loin de cette idée de répertorier les maladies comme dans la psychiatrie— avec son manuelle de classification des troubles mentaux, nous pouvons proposer une nouvelle dynamique autour de nous en posant des questions et en acceptant la différence et la singularité de tout un chacun.

Je propose cette idée car j’avais rencontré un marocain, qui après « mon diagnostic », s’avère être synesthète. Mais comme tous ceux que j’avais rencontrés, personne ne pensait qu’il avait cette particularité, au contraire, au début c’était son proche amie qui m’en avait parlé pensant qu’il avait des problèmes neurologiques, approchant le délire, voire la folie. Dès son enfance, il regardait : couleurs, formes géométriques dans l’espace quand il calcule, vision d’auras et de personnes irréelles (fantôme ou djinns) —ce que j’appelle moi personnification de l’information au travers d’un prisme connu car le cerveau, dans le cas d’une synesthésie avérée, associe des formes, des sensations, des réflexions, donc de l’information aux individus. (Je précise ici la synesthésie car l’on peut dire tout et n’importe quoi sur les visions : du New Age à la Kabala en passant par la physique quantique et les Mantras, le sujet est épuisé).

Ce jeune marocain que j’ai rencontré ne voulait pas me parler facilement de son expérience car, depuis son jeune âge, il a été traumatisé par son entourage dès qu’il manifestait ou partageait son expérience sensationnelle. Ils l’ont appelé daltonien, fou, possédé, dyslexique, autiste…ils l’ont même interné quelques temps ! Il m’a avoué que depuis son enfance, il suit un traitement médicamenteux prescris par ses médecins dans le but de le « soigner », disent-ils. Bien sûr, quel médecin dirait aux parents d’un « malade » que le fils est normal « selon d’autres critères » ! Très peu de médecin sans doute ! Dans son cas, il n’a pas eu en tout cas cette chance, mais cette rencontre, que nous avions eu, lui avait, j’espère, ouvert les yeux : premièrement sur la compréhension de sa maladie (qui n’en est pas une), et deuxièmement sur ses capacités intrinsèques ! Il s’avère être actuellement musicien et à l’aide de ses perceptions, il ne peut qu’exceller dans ce qu’il fait. Beaucoup de personnes synesthètes au Maroc n’osent même pas raconter leurs expériences de peur d’être internés et enfermés dans la case de la folie. Et vous savez ce qu’on fait des fous, on les envoie au « 36 ». — c’est anecdotique car le chiffre 36 dans la tradition hébraïque et kabbaliste renvoie aux 36 justes ou au lamed vav tsadikim et non pas à la folie.

Cette vision ouvre la brèche sur un monde nouveau de perceptions, un mode de création à base de goût, de couleurs, de formes et de géométries spatiales.


Dounia said thanks.

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Samir Taouaou

Writer, traveler, photographer

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