Bruxellisation (en néerlandais : verbrusseling) : n.f. Dégradation de l’environnement urbanistique et architectural d’une ville laissée en pâture aux promoteurs immobiliers. À Bruxelles, c’est l’Art nouveau qui a trinqué. Benjamin Zurstrassen, assistant à la conservation du Musée Horta, raconte le carnage.
Lorsque les promoteurs immobiliers se sont emparés de Bruxelles dans les années 1950 et 1960, rien n’a été épargné. L’hôtel Tassel (à droite) a été le premier bâtiment Art nouveau élevé à Bruxelles. Construit en 1893 par Victor Horta, chef de file du mouvement en Belgique, il est aujourd’hui encore un symbole de la gloire passée de la ville. Mais force est de reconnaître qu’il fait désormais triste figure au milieu des immeubles de bétons.
Victor Horta était particulièrement fier de la “Maison du peuple” qu’il avait érigée pour le parti ouvrier belge. Mais c’est sans pitié qu’elle est détruite en 1965, pour qu’en 1966 pousse à sa place l’affreuse “Tour Blaton”. Tout n’est pas perdu cependant. Dans un éclair de lucidité, ou peut-être de remords, certains éléments sont conservés et stockés. Mais elle trouve une seconde mort lorsque dans les années 1980, les ferronneries laissées à l’abandon sont volées et revendues à un ferrailleur.
Morgane Bonnin est étudiante en orthophonie (ou “logopédie” pour les Belges). Elle vit au dernier étage d’une maison de style Art nouveau face à l’église Sainte-Trinité, mais c’est à peine si elle en a conscience. Tout à l’intérieur a été refait, divisé en appartements. “Quand je suis arrivée, il y avait des tommettes entreposées ici. Mais c’est tout ce que je peux vous dire…”
Alain Berenboom, lui, a plus de chance. Avocat, il travaille avec une vingtaine de collègues dans l’Hôtel Otlet, un immeuble Art nouveau situé rue de Florence :
Si les façades sont souvent mises en valeur et exhibées dans les nombreux circuits “Bruxelles Art nouveau” proposés aux touristes, les intérieurs, eux, ont été modernisés, et le mobilier dispersé. Car oui : les architectes Art nouveau, en voulant faire un art “total”, allaient jusqu’à dessiner les chaises, les paravents, et “même la courbe des petites cuillères !” s’amuse Benjamin Zurstrassen. Peu de musées donnent à voir des tables ou commodes du style Art nouveau belge. “Seul le Fin-de-siècle aux Beaux Arts tente de faire bouger les choses”, déplore-t-il.
Aujourd’hui, l’hôtel Hannon est l’un des seuls intérieurs Art nouveau bruxellois ouverts, et qui plus est gratuit. On y apprécie la lumière filtrant au travers des vitraux du “bow-window”, qui témoignent de la passion des architectes Art nouveau pour le végétal. Autre lieu préservé : la maison de l’architecte Victor Horta, devenue musée. En restauration depuis 25 ans, elle offre probablement l’exemple le plus complet d’habitation Art nouveau.
Venu d’Angleterre, l’Art nouveau se développe en Belgique au début des années 1890 sous l’impulsion de l’architecte Victor Horta. Tous les représentants du courant ont en commun une volonté de rompre avec les “néo-” (néoclassiques, néo-ceci, néo-cela) et faire quelque chose d’entièrement nouveau. Mais il ne faut pas sous-estimer la sensibilité propre à chaque artiste, qui explique l’aspect pluriel de l’Art nouveau belge et européen. Ici, l’Hôtel Hannon est l’œuvre de l’architecte Jules Brunfaut.
Pour plus de photos d’Art nouveau bruxellois, c’est ici, et c’est géolocalisé. Bonne balade !
PS : l’Art nouveau inspire encore. En témoignent le jeu “Bruxelles 1893” et son sympathique créateur Étienne Espreman. Rencontre.
Damien Gouteux & Jade Lemaire
Who says Paris is the city of love
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