Virée spirituelle : l'expérience monastique

July 31st, 2014, 7pm

Mes premiers jours de retraites étaient surtout faits de combats particuliers contre des idées et des concepts mentaux qui ne s’émancipaient guère : une innombrable foule de pensées que je regarde avec étonnement, parfois avec sourire ou agacement. Mais je me reprends, j’essaie de rester lucide. Rester concentré sur un seul “objet”, la respiration, relève de l’impossible, pourtant, je n’en suis pas à mes premières méditations.

Les journées passent, mon corps, immobiles, se consumait de douleurs. Une douleur qui se mélange à des émotions confuses… Je découvre la fragilité de l’esprit, un esprit qui reste pourtant attaché même aux choses futiles. Parfois, l’irréel se dévoile pour montrer le réel : le voile de Mâyâ se dissipe doucement.

Assis par dizaine dans le hall du monastère, je me suis cru, un bref instant, en salle de sport ! Un sport d’un tout autre genre, les voyageurs viennent des quatre coins du monde pour entraîner leur esprit pour ainsi dire. C’est ainsi que je regardais les choses, des sportifs intellectuels qui n’hésitent pas à tout abandonner pour venir s’assoir méditer, immobiles, pendant des jours sans relâche.

Après les heures méditations, de courts moments de répits. Je découvre mon compagnon de chambre—nous sommes deux à partager une pièce minimaliste correcte. un voyageur dont le pays d’origine m’est inconnu car toute forme de communication est prohibée au monastère. Une interdiction morale qui évite toute tentative d’égarement de l’esprit. Rester concentré en toute circonstance, même en situation d’urgence : une expérience atypique .

Au petit matin, une cloche tibétaine retenti pour marquer le début d’une longue journée. Un son strident qui rappelle le son des bols chantants utilisés en Pudjas (rituels bouddhistes). Il est déjà quatre heure, Ne voulant pas réveiller mon compagnon de chambre, j’utilise une petite torche pour chercher mes quelques affaires. Mais au fond, j’aimerai bien le motiver, indirectement, à se mettre debout— en ouvrant volontairement au maximum le robinet ou en claquant la porte avec force. Mais même cette forme communication reste interdite.

Je me dirige vers le hall du monastère sous la pluie, c’est la mousson. Sans cette torche, je ne saurai distinguer la route des petits buissons. Je profite de ces rares instants de marche de la journée pour étirer mon corps et réveiller mon esprit. La cloche retenti pour la troisième et dernière fois, je reprend sans hâte ma place attitrée. A cet instant, je suis le seul présent dans le hall ainsi qu’une autre personne assise au loin dans la partie réservée aux femmes.

Deux heures et demi de méditation avant le petit-déjeuner. Je me concentre sur ma respiration, encore et toujours. Cet exercice est différent des autres méditations de relaxation ou de visualisation, le but étant de développer la Vipassana bhavana, soit la vue profonde dans la nature de la réalité”. D’après la tradition bouddhiste, cette méthode de méditation, développée et pratiquée par le Bouddha (Siddharta Gautama) en personne, reste l’une des plus anciennes méditations répertoriées à ce jour.

Le chemin est long avant d’atteindre cette réalisation, quoi que je ne médite pas pour atteindre quoi que ce soit, je me contente de vivre le moment avec nihilisme et détachement.

Quelques instants suffisent pour que l’esprit reprenne le contrôle : il s’égard et essaie par tous les moyens de s’accrocher vainement à n’importe quelle chose, à n’importe quoi… A ce moment-là, l’on devient conscient que deux entités combattent dans un seul et même corps. Un combat intellectuel entre une partie de soi, qui veut à tout prix rester concentrée et une autre instable, vagabondant dans tous les sens.

J’entends au loin les mantras de quelques moines bouddhistes du monastère d’à côté. Une partie de moi se réjouit car c’est bien là le signe que les deux heures et demi arrivent à leur terme et que le repas va être bientôt servi . La cloche marque la fin de cette méditation matinale, tout le monde sort du hall, à la file indienne, sans faire le moindre bruit. A chaque fois que je franchis la porte du hall de méditation, le spectacle est fascinant : un spectacle de couleur et de lumière s’offre à moi. La réalité, la nature, la flore et les montagnes n’ont jamais parus aussi “réelles” . L’esprit perse, au plus profond, cette réalité. Tout semble avoir une conscience. Les couleurs n’ont jamais été aussi éclatantes, la flore n’a jamais été aussi présente. Mais cette vue se dissipe après quelques instants : le Vipassana bhavana se dévoile doucement.

Cette petite prise de conscience terminée, je découvre un spectacle encore plus magique. Les nuages parcourant mon corps et la vue, au loin, de la ville d’à côté qui semble lilliputienne à cette distance. De cet endroit, je m’imagine la théorie de la relativité appliquée, que le temps passe plus vite ici que dans cette minuscule ville au pied de la montagne. De toutes façons, le temps n’a plus de signification ici.

Le monastère, perché sur le sommet, à quelques 2200 mètres, semble faire un avec le ciel. Un décore irréel sorti tout droit d’un livre d’Alexandra David-Neel ou de Blavatsky.

Pas de temps à perdre, je reprends mon souffle, et je me dirige vers la cantine. A l’intérieur, on se croirait dans un centre de détention , ou presque. Le décor est justement réduit au minimum pour rappeler encore une fois qu’il faudrait garder son esprit concentré, se détacher donc de toute pensée, même celle du plaisir de goûter à un petit repas chaud.

Mon tour vient, je regarde sans vraiment regarder la personne qui me sert le repas, de toutes façons, même ici la parole est prohibée. On se contente simplement de me servir. Au menu, un Chai (un thé marsala), un plat à base de semoule et une sorte de mixture himalayenne. Parfois, l’on nous propose quelques fantaisies : du curry. Des plats certes, modestes, mais avec un goût de nouveauté. Je me souviendrai toujours de ces rares instants de plaisir.

La demi heure terminée, il est temps de nettoyer ses ustensiles et de regagner sa chambre pour méditer. Je croise encore une fois cet inconnu connu qui gît sur le lit d’à côté. Les batteries rechargées par cette petite gourmandise matinale, je me remet à la concentration. Je ferme les yeux, je me met en position et je respire profondément. Ca recommence.

Nous continuons de la sorte, focalisés sur notre respiration nasale, jusqu’au dernier repas de la journée servi vers onze heure. Un peu tôt certes mais ceci reste suffisant. Pas de diner donc, pas de gourmandise, juste un thé servi l’après-midi pour ceux qui voudront. Comme le dirait Rousseau, “la simplicité de cette vie me fit un bien d’un prix inestimable”.

Après ce mets, la partie la plus sérieuse commence : méditer jusqu’à 21h30, un vrai exercice de patience, de courage et même et de persévérance. Avec le temps, l’on commence à peaufiner sa technique. Les signes de progrès se sentent et se ressentent. La dissipation des douleurs au niveau des jambes et du dos laisse entrevoir des sensations nouvelles. Le corps se transforme en pierre, l’esprit reste calme et le vrai voyage commence à cet instant.

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Samir Taouaou

Writer, traveler, photographer

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