Didier Georgakakis: qu'est ce qu'un Eurocrate?

November 30th, 0000, 12am

Didier Georgakakis est un sociologue spécialiste des questions européennes, auteur, entre autres, de Le Champs de l’Eurocratie. Une sociologie politique du personnel de l’UE, Economica, Coll. Etudes Politiques. Il vit à Bruxelles depuis quelques années. Dans cet entretien, il définit ce que sont les Eurocrates et explicite les modes de sociabilisation.

Comment définir ce qu’est un Eurocrate?

Le terme d’Eurocrate a été inventé par la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) et a été repris par quelqu’un qu’on ne peut pas qualifier d’être eurosceptique puisque c’est Spinelli. (NDLR: Homme politique Italien partisan du fédéralisme européen, considéré comme un des pères fondateurs de l’UE). Il l’a décrit dans un livre qui s’appelle Les Eurocrates où il fait une topographie de ces gens. C’est assez intéressant car il n’a pas la même définition que ce qu’on entend aujourd’hui. On a tendance à désigner les Eurocrates comme étant les fonctionnaires. En fait non, dans l’esprit de Spinelli et le mien, ce sont ceux qui ont du pouvoir dans ce milieu. Fonctionnaires, parlementaires, lobbyistes, journalistes, etc.

Peut-on y voir une population homogène?

C’est un champ sociologique, mais on peut parler de monde dans le sens où les gens se côtoient, sont en relation, ont des oppositions où des affinités. On se dispute la capacité à incarner l’intérêt général européen. Mais on ne peut pas mettre tous les Eurocrates dans le même sac, il y a des distinctions à faire.

Ce qui est important de bien distinguer, c’est qu’il y a des gens qui ont beaucoup de pouvoir et des gens qui en ont très peu. L’UE est structurée par une dimension verticale. Les Eurocrates, ça comprend aussi la secrétaire contractuelle qui va gagner 1400 euros! Sans compter les stagiaires ou les jeunes diplômés. Par ailleurs, un Directeur Général va être à 16000. Il y a des gens qui sont dans une sorte de précarité. Les contractuels sont employés pour 3 ans. Les attachés temporaires c’est 5 ans. Les fonctionnaires à statut sont dans une carrière plus confortable.

Deuxième distinction, la différence entre les permanents du champ et les temporaires. Les permanents font une partie substantielle de leur vie, voire toute leur vie dans les institutions. Ceux là accumulent des réseaux, des savoirs faire, des comportements. Ils ont une sociabilité et une culture très européennes. Dans ces permanents, il peut y avoir un fonctionnaire mais aussi un lobbyiste qui est là depuis 30 ans ou un journaliste. Mais ce sont des expatriés, et c’est dur. Il n’est pas rare que certains divorcent. On voit ça de l’extérieur comme une cage dorée, mais humainement c’est pas évident. Vous travaillez dans une autre langue, vous êtes loin de votre famille. Donc généralement ils se remarient avec des gens du champs. Je discutais souvent avec des fonctionnaires retraités qui restent. Ils ne connaissent plus personne dans leur pays après trente ans de carrière à l’étranger. L’Europe est devenue leur monde.

Dernière distinction à faire, entre ceux qui se vivent comme des serviteurs de l’Etat, Européen ou National, et ceux qui se vivent comme faisant partie du monde du business, et ce au sein même des institutions.

Cette expatriation que vous venez de mentionner peut-elle expliquer un entre-soi particulièrement prononcé?

C’est vrai que la population des Eurocrates ne communique pas avec les Bruxellois. Mais ça ne communiquerait pas d’avantage si c’était simplement la bourgeoisie belge face aux quartiers populaires. Je ne suis pas sûr qu’il y ait un plus grand entre-soi ici qu’ailleurs. Même géographiquement. La différence c’est qu’ici, de fait, on a affaire à des gens étrangers. C’est un population riche qui rencontre une population bruxelloise qui ne l’est pas nécessairement.

Existe-t-il des nœuds de réseaux, comme les grandes écoles en France?

Oui il y a des réseaux d’écoles qui peuvent jouer, mais la diversité est tellement grande ici que ça ne fait pas tout. Il y a environ 80 000 personnes qui travaillent autour des institutions. Ce qui peut jouer, ce sont les écoles pour scolariser les enfants de fonctionnaires. Elles sont formées dans l’esprit européen, il y a beaucoup de langues au programme. Les gens se rencontrent par l’intermédiaire des enfants. Un phénomène de concentration se produit puisque que les gens veulent habiter près des écoles. La ville veut en construire une à Laeken (NDLR: quartier bruxellois) pour déconcentrer justement. Cela permettrait de redistribuer un peu.

Interview et crédits photos de Eléonore Sens

Pour aller plus loin: http://www.academia.edu/1362745/Le_champ_de_lEurocratie._Une_sociologie_politique_du_personnel_de_lUE

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Eléonore Sens

Journalist

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