"Je suis pour un cinéma d’identité belge."

May 12th, 2014, 4pm

Gérald Frydman est réalisateur et producteur. Palme d’or du court métrage au Festival de Cannes 1984, et aujourd’hui en semi-retraite, il garde un oeil aiguisé sur l’actualité cinématographique et télévisuelle de son pays. Il nous reçoit dans son Atelier Alfred, créé en 1981 et dans lequel il écrit et réalise des films avec des non-professionnels.

Où êtes-vous né ?

Je suis né à Bruxelles, j’ai grandi en même temps que la ville. On n‘arrête pas de construire ici. C’est ce qui est un peu emmerdant parce qu’il y a des travaux un peu partout, mais la base, c’est le centre, la Grand-Place, la Bourse, le Palais Royal. Le quartier dans lequel nous nous trouvons est devenu celui de l’Europe au début des années 60. Mais il n’est pas spécialement culturel.

Si tu veux sortir au cinéma à Bruxelles, il y a trois grands complexes de 15-20 salles, et quatre ou cinq salles d’art et essai. Ca fait peu. Et puis il y a la Cinémathèque, qui possède deux salles. C’est la seule qui passe des films anciens. J’y ai été le week-end dernier : il y avait quinze personnes dans une salle immense, et aucun jeune.

Il parait que les membres de la Nouvelle Vague (Claude Chabrol, François Truffaut, etc.) venaient souvent au Royal Nord, place Rogier, pour y voir des films. Dans les années 50, il y avait une centaine de salles à Bruxelles. Je les ai toutes faites : le Rixy, le Monty, le Piron, le Victory, le Rialto, le Cinéac… Ce sont toutes des salles qui n’existent plus.

”C’était le début de l’animation par ordinateur. Je n’ai pas suivi. Cette technique-là me dépassait.”

En 1976, vous fondez une maison de production, Scarfilm. Qu’est-ce qui vous anime ?

J’ai toujours eu des projets de long-métrage, et j’en avais notamment un que tout le monde trouvait très bon. Mais le producteur ne parvenait pas à rassembler les fonds. J’ai donc créé cette société pour essayer de le produire moi-même. Malheureusement, il y a eu un concours de circonstances, le film ne s’est pas fait. Les Français avaient envie, mais les Belges s’y sont opposés. Et chaque fois que j’échouais à réaliser mon film, je faisais un dessin animé. (rires)

Scarfilm, c’est en référence à Scarabus, votre premier film ?

Oui, un film que j’ai tourné en 1971. Il a eu un prix à Annecy, et le Grand prix à New York et à Melbourne. Pour un premier film, je ne m’attendais pas à ce qu’il marche autant. J’étais déjà content qu’on le sélectionne à Annecy, un festival très réputé. J’y ai passé une semaine, j’étais heureux, c’était tout ce que je voulais.

Après la projection de mon film, on m’a félicité, et à la fin du festival, ils m’ont remis le prix de la première œuvre. J’étais complètement surpris. On m’a invité à faire le tour de la région, dans les Maisons de la Culture, etc. C’était un rêve.

Du coup, le film a fait du bruit en Belgique. Les autorités l’ont envoyé dans d’autres festivals, et il a été récompensé à New York et Melbourne. C’était vraiment une œuvre de débutant, mais je me suis fait une petite réputation. On m’a dit que c’était un modèle. Ca me donnait de l’importance.

Vous avez fini par réaliser votre projet de long-métrage ?

Juste après Scarabus, j’ai réessayé. Nouvel échec. Alors en 1984, j’ai reçu une commande pour réaliser Le Cheval de Fer. Le producteur voulait le présenter à la Sélection à Cannes, il a été sélectionné, et j’ai reçu la Palme du court-métrage. Entre-temps, l’Atelier Alfred s’était développé. On tournait un film chaque année avec des débutants, c’était très gai.

En 1991, j’ai réalisé un dessin animé, mon dernier. Après ça, je me suis arrêté, parce que c’était le début de l’animation par ordinateur. Je n’ai pas suivi. Cette technique-là me dépassait. Les miennes étaient toutes manuelles, c’était ma façon de travailler. Depuis cette époque, je n’ai plus fait de dessins animés.

J’ai des amis, des grands animateurs manuels européens, qui ont réalisé des épisodes de Tintin, d’Astérix, et qui n’ont plus de boulot à cause de l’ordinateur.

IMG_9867 Depuis que le cinéma de long-métrage belge s’est développé (avec Jaco van Dormael et les frères Dardenne, dans les années 90), Gérald Frydman n’est plus le seul à ramener des prix à la Belgique.

A la fin du petit documentaire que vous avez réalisé en 2004, intitulé Le Maillon Faible, il y a cette citation du journal Le Soir : ”Les chaines francophones belges ne produisent aucune fiction nationale, une exception européenne.” C’est toujours le cas aujourd’hui ?

C’est toujours le cas. Ca a débuté en 1984-85, quand RTL TVI, installé au Luxembourg, a demandé à venir en Belgique. Le Ministre de la Culture de l’époque, Philippe Moureaux, qui était un type bien, les a autorisés à condition de participer à la production nationale. Puisque vous allez vivre de la publicité en Belgique, leur a-t-il dit, une partie des rentrées publicitaires sera affectée à la production télévisuelle, et vous produirez de la fiction télé belge. C’est le cas dans tous les pays, c’est une obligation politique.

Quand ça a été décidé, quelques producteurs se sont précipités pour proposer des choses. Avec l’Atelier Alfred, on a proposé une série télé fantastique, Les mystères de l’agence K, et on a tourné le pilote, d’une durée de vingt-cinq minutes. C’était une erreur. Ils nous ont fait lanterner un an, en promettant de le produire. Aucune série proposée par les différents producteurs n’a finalement été produite.

Vous avez autoproduit le pilote ?

Oui, j’ai produit Les mystères de l’agence K avec mon argent, j’ai failli vendre ma maison, je suis passé près de la catastrophe. Finalement, c’est le Ministère (qui se sentait en tort) et la loterie nationale qui m’ont aidé à liquider le passif. Normalement, le politique devrait être ferme et exiger, et non pas proposer et attendre. Avec un politique faible, qui ne croit pas en ce qu’il propose, on n’avance pas.

En 2004, j’ai donc réalisé Le Maillon Faible, dans lequel j’ai interviewé les producteurs de petits pays, pas plus grands que la Belgique, pour leur demander la manière dont ça se passait chez eux. A l’unanimité, ils m’ont dit : ”Nous produisons de la fiction nationale. C’est très important pour l’identité d’un pays.” La Belgique francophone est la seule à ne pas en produire.

”En salle, les films flamands peuvent faire jusqu’à un million d‘entrées. Pour les films belges francophones, même ceux récompensés à Cannes, c’est 200 000 spectateurs grand maximum, et en général, ça tourne autour de 30-40000.”

Vous pensez que c’est uniquement la faute du politique ?

Non, pas seulement. Premièrement, c’est la passivité de la profession. Et deuxièmement, les chaines de télévision n’ont pas envie de dépenser de l’argent. Elles considèrent que c’est de l’argent gaspillé parce que les séries belges n’ont aucun succès. Ce qu’elles veulent produire, ce sont des séries belges qui se vendent en France.

Du côté flamand, il n’y a aucun problème : les séries se font, les fictions se font, le cinéma flamand est florissant, il a un gros succès. En salle, les films peuvent faire jusqu’à un million d‘entrées. Pour les films belges francophones, même ceux récompensés à Cannes, c’est 200 000 spectateurs grand maximum, et en général, ça tourne autour de 30-40000.

Je prétends, et je ne suis pas le seul à le prétendre, que c’est à cause de la télévision. Moi, je suis pour un cinéma d’identité belge. Or, notre cinéma est d’identité franco-belge.

Benoit Mariage disait d’ailleurs : ”Il n’y a pas de cinéma belge, il y a des cinéastes en Belgique.

Oui, c’est vrai. Monter un film belge, c’est très difficile. Il y a des sources de financement, mais on ne peut pas se passer de la France. Parce qu’il faut absolument que le film sorte en France.

Je me suis démené à propos de la télévision, parce qu’elle présente l’avantage de pouvoir tourner plus vite et pour moins cher. Et elle peut toucher plus de monde. En Angleterre, c’est Margaret Thatcher qui a imposé que les télévisions anglaises produisent des films anglais, et ça a donné de très bons réalisateurs : Ken Loach, Stephen Frears, etc. Ce serait une bonne solution pour nous, mais la profession n’a pas l’air de s’y intéresser beaucoup. Les écoles de cinéma enseignent que la télévision est un genre mineur par rapport au cinéma. Mais les deux ne sont pas incompatibles.

Les Belges ont la côte en France, ils n’ont jamais été méprisés. Ce sont les Belges eux-mêmes qui s’auto-déprécient. Avec l’Atelier Alfred, on a organisé un micro-trottoir, à Bruxelles. On demandait aux gens leur acteur belge préféré, l’actrice belge à laquelle ils aimeraient ressembler, etc. Des questions auxquelles on répond facilement ailleurs. Mais ici, très peu de réponse. A part Benoît Poelvoorde.

IMG_9874 ”Moi, je suis plutôt d’inspiration surréaliste, fantastique, science-fiction.”

Quelle est la solution que vous privilégiez ?

Je parle en tant qu’auteur, et en tant qu’auteur, ce serait intéressant si on produisait une trentaine de téléfilms de fiction par an, qui pourraient être réalisés par des réalisateurs belges, écrits par des scénaristes belges, joués par des comédiens belges. J’ai essayé d’interpeller les acteurs, mais pas de réaction. Ils sont pessimistes, ils considèrent qu’ils sont sous-utilisés, sous-employés.

Lors d’un festival, j’avais organisé une table ronde sur l’importance de la fiction belge pour les comédiens. Tous mes invités étaient défaitistes. Et il y avait dans la salle une jeune comédienne canadienne, et qui n’a pas pu se retenir de leur dire : ”Sachez qu’au Québec, la télévision est extrêmement importante. Ca nous donne du travail, ça nous fait connaître du public. Je ne vous comprends pas.” Les comédiens n’y croient pas. Les plus débrouillards foutent le camp en France, mais ça n’arrange pas les choses.

Vous avez parlé de sources de financement, quelles sont-elles en Belgique ?

Au Centre du Cinéma, créé par Henry Ingberg, il y a un comité de sélection qui choisit des projets qu’ils vont financer en subventions remboursables sur les recettes. S’il y en a… (rires)

En Belgique francophone, il y a cinq systèmes d’aide au financement. Et sinon, les producteurs se tournent vers la France, ou vers d’autres pays. Les Français font beaucoup de coproductions avec la Belgique, quantité de films viennent se tourner ici. C’est en partie grâce au tax shelter, qui incite les sociétés bénéficiaires à investir dans les productions audiovisuelles en échange d’une exonération d’impôt. Ce système les intéresse tout particulièrement.

”C’est une Ministre de la Culture qui n’en a que le titre. Elle ne connait pas la culture belge.”

Fadila Laanan est-elle une Ministre de la Culture compétente ?

Elle ne va pas rester longtemps puisqu’il y a bientôt des élections. Et puis, c’est une Ministre de la Culture qui n’en a que le titre. Elle ne connait pas la culture belge. Elle est sympa, elle est mignonne, mais la politique des socialistes veut que le Ministre de la Culture soit soumis, ne prenne aucune initiative.

C’est le secrétaire général du ministère de la Communauté française de Belgique qui décide de tout. Quand Henry Ingberg était en place [1996-2007], c’est lui qui tranchait. Aujourd’hui, c’est la même chose avec Frédéric Delcor.

Avant Fadila Laanan, il y a eu un Ministre MR (Mouvement Réformateur), Richard Miller. Un type très bien, qui savait de quoi il parlait. Il voulait modifier le système, il communiquait avec les auteurs. Et puis, du jour au lendemain, il s’est fait virer. Parce qu’il prenait trop d’initiatives.

Fadila Laanan a pourtant fait des Etats Généraux du cinéma au début de son mandat ?

Oui. D’ailleurs, à cette occasion, j’avais projeté Le Maillon Faible et raconté, année après année, les tergiversations des télévisions, leurs jeux équivoques et pas très nets pour échapper à l’obligation de production. Quelques spectateurs m’avaient félicité après, mais très peu de réactions de la Ministre. Ca aurait pourtant dû déclencher quelque chose.

Je suis membre-fondateur de deux associations, dont une qui s’appelle l’Union des producteurs de télévision. Un jour, on a reçu une invitation pour faire partie du comité de sélection du Centre du Cinéma. Je me suis levé en disant : ”Ca ne m’intéresse pas, désignez vos petits copains.” J’ai eu tort, parce qu’ils ont effectivement désigné leurs petits copains. (rires)

A VOIR : Le Maillon Faible (2004). Gérald Frydman nous livre une série de courts entretiens de réalisateurs, scénaristes et comédiens wallons et étrangers, à propos de la production télévisuelle belge francophone et de leur rapport à la fiction.


David Wade said thanks.

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